i will share your road / malcom

« Tu crois que Lady Gaga réfléchit d’abord au script de ses clips et ensuite elle écrit les paroles de ses chansons ou qu’elle adapte ses clips à ses paroles ? » Allongée sur les pierres disproportionnées, le blouson roulé en boule sous sa nuque pour s’en faire un oreiller, elle lance un regard en direction de Malcom. La question danse au fond de son regard bleu parce qu’elle est curieuse, Alma et qu’elle attend une vraie réponse. C’est trop souvent qu’elle a l’impression que les clips musicaux n’ont aucun sens – mais pas ceux de la Gaga. Alors ça l’intrigue, Alma, parce qu’Alma, elle croit qu’il y a du génie en chacun mais surtout en la Lady. Elle a un bras qui tombe sur le sol, attiré par la force de la gravité et les doigts qui jouent avec les feuilles tombées durant la nuit. C’est humide. Elle peut deviner les insectes et les minuscules araignées qui grouillent sous le parterre de feuilles rouges, oranges et jaunes, laisse parfois traîner l’extrémité de ses doigts avec l’espoir qu’il y ait méprise et qu’ils grimpent sur elle – mais ils n’en font rien et elle ravale sa déception.
« Putain, si j’étais fumeuse, je m’en grillerais une, là. » La voix explose dans l’air, le soupir pourfendeur d’un ennui qu’elle n’ose pas prononcer à voix haute – jamais, quand il y a Lynch parce que Lynch, il fait s’égarer les affres de mauvaises émotions. C’est un fait, c’est un don, c’est quelque chose d’inéluctable. Il est comme ça, Malcom et c’est pour ça qu’elle l’adore (et qu’elle le colle, sans doute). « Oh ! Tu sais qu’on est bientôt le trente-et-un, right ? » Elle tourne la tête, se contorsionne pour essayer de mieux l’apercevoir sans qu’il ait le visage à l’envers à cause de sa position étrange. Un sourire flashé dans sa direction pour se donner un air angélique, parce qu’elle se doute bien qu’elle n’a pas besoin de lui rappeler les dates. Il retient, lui. Encore un autre de ses dons.
Il abuse, quand même.
Il pourrait laisser des dons aux autres, merde. A ses parents, par exemple – elle n’en a pas encore parlé, Alma, mais elle devine sans peine que ses parents vont encore oublier, cette année. Elle le sait parce qu’il y a eu une nouvelle disparition et que ça a relancé la spirale infernale de leur dépression post-disparition. Post-Ethan. « Et j’sais ce que tu pourrais m’offrir pour que mon anniversaire soit génialissimement génial. » Elle lève un doigt, la tête renversée ce qui a pour effet de renforcer l’afflux de sang jusque dans son crâne. « Même pas besoin de dépenser tes jolis sous, promis. T’as juste besoin de ramener ta fraise à la soirée d’Halloween. » Ton badin, haussement d’épaule entravé par les pierres qui s’enfoncent dans sa chaire. Elle a l’air tranquille, Alma, parce que c’est pas grand-chose, qu’elle lui demande, à Malcom. Juste un p’tit service de rien du tout – elle sait pourtant qu’il va râler, pester, grogner quelque chose qu’elle n’écoutera pas. Elle se redresse déjà, des brindilles logées dans ses cheveux de paille, la tête penchée sur le côté et la vue aveuglée par les points noirs qui accompagnent la tête qui lui tourne. « Ouch, relevée trop vite, » qu’elle geint en portant une main à sa tempe, pourtant prête à recommencer parce que même si c’est désagréable, y a aussi un petit côté addictif qui lui plaît. Malcom se rappelle à elle et elle glisse sur les fesses pour lui faire face. « T’as pas le droit de dire non. C’pour mon anniv. » Ca vaut tous les arguments du monde, les yeux pottés du chat qui ne revêt que des bottes (comme si ça allait cacher sa quéquette à quiconque mais, well, elle est pas censée critiquer la logique d’un dessin animé, Alma alors elle ne dit rien). « Ce sera fun. Tu pourras te déguiser, et effrayer les gamins et on récoltera la masse de bonbons pour leur foutre le seum et on s’empiffra après en matant des films d’horreur. J’suis sûre que t’as pas encore maté le dernier Conjuring. » Elle enroule ses genoux d’un bras, le menton posé sur ceux-ci, prête à sortir la Calimero enfouie tout au fond d’elle pour le faire craquer. C’est pas comme s’il avait réellement le choix, de toute façon.

Tu crois que Lady Gaga réfléchit d’abord au script de ses clips et ensuite elle écrit les paroles de ses chansons ou qu’elle adapte ses clips à ses paroles ?
Tu fixes le ciel, alors qu’Alma romps le silence, te forçant à réfléchir sérieusement à la question. Non pas que ça t’intéresse réellement mais ça reste de la musique et c’est ton domaine après tout.
Je crois surtout qu’elle a les moyens de payer quelqu’un pour le faire à sa place selon ses idées. Elle sait ce qu’elle fait, elle.
Ouai bon t’en sais rien au fond, ton monde et celui de Lady Gaga sont clairement à des millions de kilomètres.
Putain, si j’étais fumeuse, je m’en grillerais une, là.
Tu soupires, ouai parce que l’envie te vient aussi du coup mais t’as promis à Timmy d’arrêter, et c’est le genre de promesse que t’es obligé de tenir, toi. Ton frère c’est ton monde, jamais tu ne le trahirais, surtout pas pour te foutre les poumons en l’air. Même si ça ne te changerait rien à toi, tu te sais condamné de toute façon.
Respire un coup, ça va passer.
Oh ! Tu sais qu’on est bientôt le trente-et-un, right ?
T’aime pas son ton, trop enjoué, tu sens le piège te tomber de dessus, y a toujours un piège quand elle prend ce ton. Tu cherches une issue mais tu ne connais pas encore le moyen. Tu restes silencieux, tu ne prends pas le risque, tu te contentes d’hocher la tête, attendant la suite.
Et j’sais ce que tu pourrais m’offrir pour que mon anniversaire soit génialissimement génial.
Mon amitié n’est pas déjà le plus des cadeaux ? je suis outré.
Même pas besoin de dépenser tes jolis sous, promis. T’as juste besoin de ramener ta fraise à la soirée d’Halloween.
Elle ne relève même pas la brune. Trop lancée dans son monologue enjoué. Trop pour toi mais tu l’écoutes, du moins tu essaies, ou tu fais semblant, tu ne sais même plus. Mais rien ne vaut le bonheur de ton amie, tu ferais tout pour elle, tu le sais que tu vas accepter et elle le sait aussi. Mais tu vas protester pour la forme.
No way, Alma.
T’as jamais vraiment aimé les fêtes du genre, trop superficiel pour toi. Tout ces gens qui font semblant de s’amuser en se bourrant la tronche pour oublier leur quotidien misérable. T’as fait partie de ce groupe d’humains avides de ces moments de faux bonheur, qui paraissent si indispensable à notre survie. Mais la réalité a refait surface, et t’as jeté son venin en plein face. t'as vite arrêter ce jeu infernal.
T’as pas le droit de dire non.
Je viens de le faire pourtant.
Elle commence sa plaidoirie.
C’pour mon anniv. Ce sera fun. Tu pourras te déguiser, et effrayer les gamins et on récoltera la masse de bonbons pour leur foutre le seum et on s’empiffra après en matant des films d’horreur. J’suis sûre que t’as pas encore maté le dernier Conjuring.
Techniquement ses arguments sont faits pour te confirmer que tu ne veux absolument pas y aller mais c’est Alma qui te le demande, pas un simple pote à qui tu aurais toutes les raisons de dire non. Non là c’est la seule personne à qui tu ne peux rien refuser et qui le sait parfaitement. Parce que oui tu pourrais bien faire ça pour elle, alors qu’elle a toujours été là pour toi, pendant que d’autres t’abandonner lâchement, comme un connard.
Tu secoues la tête parce que, merde t’as pas envie de penser à lui, pas maintenant, plus jamais. Tu te tournes vers elle, et tu souris devant son visage enfantin.
T’es sacrément chiante Alma, tu le sais ça ! ok je viendrais mais t’attends pas à recevoir un autre cadeau que ça, je te préviens !
Tu finis par te lever pour finir te placer derrière elle, les bras autour d’elle.
Allez raconte-moi ta semaine, miss manipulatrice.  

Elle reste silencieuse pendant une seconde. Faut qu’elle médite ce que vient de lui répondre Malcom. Ca semble plausible et donc, cohérent. Elle a des sous, la Lady après tout – Alma ne sait pas de combien de zéro se compose son compte bancaire mais bien plus que le sien, c’est une certitude. « Fais pas ton Calimero, là, toi aussi tu sais ce que tu fais. » C’est ce qu’il lui a toujours semblé, en tout cas, parce qu’elle l’a déjà vu faire, Alma. Et quand Malcom cause ou se met à la musique, c’est tout de suite plus professionnel que quand elle essaie de chanter deux notes ou de gratter les cordes d’une guitare. « Dommage qu’elle embauche pas d’acteurs pour tourner dans ses clips. » Elle pourrait s’y voir, elle, pourtant. A se déhancher sur le dernier tube de Gaga, à jouer avec les hormones et la testostérone, à être vêtue d’une tenue excentrique qui lui irait à merveille (il n’en fait aucun doute). Un soupir lui échappe, rapidement suivi d’une plainte et elle prétend ne pas avoir entendu le souffle de Malcom. Elle obtempère, inspire une grande goulée d’air qu’elle expire par la bouche – rien, l’envie est toujours là, logée quelque part entre sa bouche qui devient pâteuse et les entrailles qui veulent s’empoisonner. Elle a une moue boudeuse pendant une brève seconde – elle est déjà passée à autre chose parce que c’est ce qu’elle fait. Son visage rayonne d’excitation, les yeux pétillent de malice. Elle ménage son suspense, Alma, comme un bon conteur le ferait d’une histoire pour enfant. Sourde à toute réponse qu’il pourrait lui donner qui ne serait pas un oui poussé avec une joie féroce. Elle n’accepte que ce qu’elle veut entendre, Alma et il le sait bien. Le sourire s’écarte, illumine ses traits et elle ne retient que de justesse un poing victorieux en l’air. « Primo, je m’en fou des cadeaux matériels, sauf si c’est de la bouffe. Deuzio, tu m’aimes parce que je suis chiante alors te plains pas. Tu t’ennuierais sans moi, ne nie pas. » Petit haussement d’épaules pour faire bonne figure et parce que c’est plus simple d’avoir l’air désinvolte plutôt que d’admettre qu’elle espère bien qu’il ne s’en aille jamais, malgré ses défauts et sa chiantitude. Parce que sans lui, elle ne sait pas qui elle pourrait devenir, Alma – ce serait comme lui arracher un deuxième frère ou l’amputer d’un troisième bras.
Douloureux, insurmontable.
Elle se cale contre son torse avec un soupir d’aise – elle s’est toujours sentie en sécurité entre les bras de Malcom, bien plus que dans ceux de ses parents et ça l’apaise. « Hm, voyons voir… J’ai crâmé un rôti de bœuf l’autre jour en voulant cuisiner, je crois que c’est la première que ça m’arrive. Du coup, on a fini par commander tacos et ça aussi, c’est clairement la première fois que ça arrive. Tu savais qu’il existait des tacos avec de la dinde ? Comme si quelqu’un allait, un jour, choisir dinde. Enfin c’est ce que j’ai pris mais c’était pour goûter. Savoir si ça en valait la peine, tu sais. Bah ça n’apporte strictement rien de plus. » Regard appuyé à l’arbre qui leur fait face parce qu’elle n’ose pas se contorsionner dans tous les sens de peur de donner un coup de tête à son ami. « Du coup, j’ai décidé d’arrêter de manger de la viande. J’ai tenu deux heures. Je pense que c’est un nouveau record. Oh ! Et j’ai tout défoncé aux dernières auditions en cours, je suis à peu près certaine d’avoir le rôle principal dans la prochaine pièce. » Une semi-certitude, bien davantage espoir fou que vérité. « Et j’ai décoré la maison et le jardin, of course. D’ailleurs, j’ai une citrouille en trop et quelques dizaines guirlandes de squelettes et chauves-souris, si jamais tu décides de t’intéresser à la meilleure fête du monde. » Elle passe sous silence le regard vitreux de sa mère deux jours plus tôt, la nouvelle crise de larmes en parcourant le journal qui annonçait l’absence de piste sur la disparition récente. Elle n’en parle pas, Alma, parce qu’elle sait bien que Malcom n’aura rien de plus à dire que les autres – alors elle lui évite cet instant malaisant en se taisant. « Et toi, hormis motorland, quelles aventures t’as vécu cette semaine ? »